Comment nos chefs se préparent-ils à débattre ?

01 septembre 2021

Au cours de ma carrière, j’ai eu le privilège de participer à plusieurs préparations aux débats des chefs, en plus d’en diriger quelques-unes également. Alors que trois débats seront tenus entre le 2 et le 9 septembre, je vous invite dans les coulisses de ces derniers pour vous faire vivre comment se préparent nos chefs à ces joutes oratoires sans filtre et devant des millions d’électrices et d’électeurs. Il y aurait là assez de matière pour écrire un livre sur le sujet : limitons-nous toutefois à quelques éléments pertinents pour aujourd’hui.

Objectifs fondamentaux

Deux objectifs fondamentaux doivent avoir préséance sur tous les autres lorsqu’on prépare son chef pour des débats : assurer le bon état d’esprit du chef et éviter les surprises.

Le plus important est d’assurer que son chef soit dans un bon état d’esprit, ce qui est plus complexe qu’il n’y paraît. Nos leaders politiques sont des êtres humains comme vous et moi. Aussi expérimentés soient-ils, ils ont leurs doutes et parfois aussi, leurs complexes. Ainsi, débattre dans une langue seconde ou savoir que le reste de leur carrière politique se joue lors d’un débat peut être un moment de grand stress.

Il faut ensuite éviter les surprises qui déstabiliseraient le chef et risqueraient de faire déraper la campagne électorale. On anticipe alors toutes les attaques et situations imaginables et on se pratique pour éviter que le chef ne soit déstabilisé lors du véritable débat.

La préparation

Je m’attarderai davantage à certaines phases de la préparation des débats dans une chronique prochaine pour L’actualité, mais gardons à l’esprit qu’un débat commence à se préparer environ une année à l’avance. Séances vidéo, recherche sur les autres chefs et les autres partis, formation pour le chef sur le langage non verbal, développement de la trame narrative, des attaques, contre-attaques, développement des contrastes, et bien d’autres étapes préparatoires sont nécessaires en amont de la tenue des débats.

Les négociations commencent aussi quelques mois à l’avance avec les diffuseurs et les autres partis politiques sur les formats des débats : thèmes, type de lutrin, présence de minuteur, angles de la caméra pendant et en dehors des prises de parole, etc.

Les jeux de rôles

L’un des aspects possiblement les plus intrigants pour les passionnés de politique, ce sont les jeux de rôles auxquels s’adonnent la plupart des chefs. J’exprimais d’entrée de jeu que l’objectif principal est de mettre le chef dans le meilleur état d’esprit possible. Le jeu de rôle est l’un des meilleurs outils pour atteindre cet objectif et donner confiance au leader.

Pour y arriver, il faut trouver des acteurs, pas des professionnels, mais des personnes qui auront la capacité de soumettre des simulations réalistes au chef, de personnifier un adversaire, et qui auront aussi la discipline de lire et de visionner le matériel fourni afin de maîtriser les messages des partis adverses.

Autrement dit, la préparation des acteurs est aussi importante que la préparation du chef lui-même.

Pour un nouveau chef qui n’a pas d’expérience en débats, les simulations s’amorceront plusieurs mois avant la campagne électorale. Pour un premier ministre, il se pourrait que les simulations attendent la campagne électorale.

Comment se passe une journée de simulation ?

Au préalable, une note de service sera envoyée au chef pour faire un état de situation de l’opinion publique et pour établir la stratégie et les tactiques recommandées, ainsi que ce qui est anticipé des adversaires. On rappelle au chef le format du débat, les publics auxquels il s’adresse, et on lui rappelle de demeurer concentré à passer ses messages pour chacun des thèmes du débat. Chaque minute utilisée à discuter d’un sujet qui le désavantage est une minute perdue.

Le format du débat a un impact important sur l’approche stratégique utilisée. Par exemple, au face-à-face de TVA, chaque chef débattra au moins une fois pendant 4 minutes avec chacun des autres chefs. La stratégie est alors différente d’un débat où les occasions d’affronter son adversaire principal sont très rares, et potentiellement sur un thème à notre désavantage. On va alors réfléchir à des options pour ignorer l’adversaire avec qui le chef est en train de débattre pour faire contraste avec un autre.

La veille du débat, la simulation commence : une salle transformée en studio de télévision attend le chef à son hôtel. Il y a des lutrins destinés au chef, aux acteurs et au modérateur, disposés de la même manière qu’ils le seront lors du vrai débat dans le vrai studio. Les places sont assignées selon le format du débat qui aura lieu le lendemain. Il y a des lumières, des micros et des caméras. Ne manque plus que le vrai Pierre Bruneau ou le vrai Patrice Roy !

À ce stade, les partis connaissent les thèmes et l’ordre des prises de paroles. Ils ne connaissent toutefois pas les questions du modérateur.

Lors de la simulation, le chef pratiquera des segments courts et des segments longs. Lors de ces séquences, on avise les acteurs de ce qu’on souhaite qu’ils fassent. Par exemple, d’attaquer tous ensemble le chef, ou encore de l’ignorer et de débattre entre eux, l’objectif étant de voir comment le chef parvient à s’adapter ou non à toutes les situations possibles.

Finalement, en soirée, on simule le débat au complet, de 20 h à 22 h. On souhaite que le chef vive le débat sur toute sa durée et à la même heure à laquelle le véritable débat aura lieu. Les chefs sont fatigués par l’éreintante campagne électorale, et vivent parfois aussi le décalage horaire. Il est important de voir comment ils se débrouillent, particulièrement passé 21 h.

Pratiquer les messages clés et certains éléments techniques

Évidemment, lors des jeux de rôles, les chefs peaufineront la livraison de leurs messages importants sous forme d’extraits de quelques secondes, communément appelés « clips », qui pourront être repris dans les bulletins de nouvelles et sur les réseaux sociaux. On développe également un sens pour briser la « clip » qu’un adversaire est en train de livrer, en parlant par-dessus. S’il est vrai que cela fait de la mauvaise télé en direct, il est également vrai que cette séquence où un adversaire allait livrer une attaque efficace devient inutilisable dans les bulletins de nouvelles et sur les médias sociaux. Eh oui, il y a un objectif derrière ce comportement déplaisant des chefs, et ce n’est pas pour vous briser les oreilles !

Et la spontanéité ?

La spontanéité est importante dans cet exercice de préparation. Il n’en demeure pas moins qu’il faut permettre aux chefs d’atteindre les deux objectifs fondamentaux identifiés au départ : être dans un bon état d’esprit et éviter les surprises. Lorsqu’un chef est plus susceptible d’être l’objet d’attaques répétées – ce qui sera le cas du premier ministre et d’un chef qui serait en avance dans les sondages –, l’importance du niveau de préparation augmente.

En conclusion

Les jeux de rôles ne sont qu’un des multiples aspects de la préparation aux débats de nos chefs politiques. Ces jeux sont néanmoins des plus courants, et il est important d’y avoir recours pour qu’un chef soit confiant et capable de livrer la marchandise lorsque la petite lumière rouge apparaîtra... sur la vraie caméra.

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