Élections américaines : De quel pied se lèvera l’éléphant?

23 octobre 2020

Actualités

« Être votre voisin, c'est comme dormir avec un éléphant. Quelque douce et placide que soit la bête, on subit chacun de ses mouvements et de ses grognements. »

Telle est la phrase célèbre prononcée par l’ex-premier ministre du Canada, Pierre Elliott Trudeau, à Washington en mars 1969[1].

Cette analogie de l’éléphant est encore très pertinente aujourd’hui. Pour le meilleur et pour le pire, le Canada dépend énormément de son voisin américain notamment pour son commerce, mais il subit également des contrecoups lorsque celui-ci souffre, se referme ou prend certaines décisions.

Le Québec et le Canada sont des économies qui ont besoin d’exporter leurs produits et leurs services parce que le marché intérieur n’est pas suffisamment grand pour faire vivre ses entreprises. Et lorsque nous faisons du commerce extérieur, ce sont essentiellement trois dollars sur quatre en valeur de ce que nous exportons qui résultent d’achats par des américains de produits canadiens. En d’autres mots, nous avons grandement besoin que les Américains achètent ce que nous vendons[2].

Bien entendu, nous importons également des produits et services des États-Unis, mais la réalité est que nous bénéficions plus que notre voisin de ces échanges commerciaux.

Nous avons également les avantages et inconvénients d’être le voisin de ce qui est encore aujourd’hui la plus grande puissance mondiale, malgré qu’on assiste peut-être au début de son déclin hégémonique sous l’ère Donald Trump. En effet, quand les États-Unis subissent une attaque terroriste comme celle du 11 septembre 2001, le Canada en ressent la secousse. Lorsque les Américains s’engagent dans une guerre, le Canada doit souvent prendre la décision politique difficile de participer ou non à cet effort, avec les conséquences qui en découlent. Quand les États-Unis parlent de l’importance pour l’Amérique du Nord de se doter d’une protection anti-missile, le Canada est forcé de se prononcer sur la question en raison de sa localisation géopolitique. Si un missile lancé d’un pays visant les États-Unis ratait sa cible et risquait de s’écraser sur le Canada, souhaiterions-nous avoir la capacité de l’intercepter avant d’en ressentir les dégâts en sol canadien? Et si on n’embarquait pas dans le projet de bouclier anti-missile, quelles seraient les représailles des États-Unis à notre endroit[3]?

Le 3 novembre prochain, les Américains choisiront qui, de Donald Trump ou Joe Biden, sera assermenté à titre de Président des États-Unis le 20 janvier 2021 à midi. La grande question est de savoir de quel pied se lèvera l’éléphant!

Le Trumpisme et la pandémie

Que l’on aime ou pas l’actuel président des États-Unis, il y a des éléments de son idéologie qui lui survivront politiquement au moins pour un moment et qui dépassent la gauche ou la droite, ou même les partis politiques américains. Le contexte de la pandémie amplifie cette réalité, alors que plusieurs nations dans le monde montrent des signes de nationalisme et de protectionnisme accentués.

Une politique américaine qui se concentre sur les États-Unis d’abord, telle que mise de l’avant par Donald Trump, n’est pas près de s’estomper même dans l’hypothèse d’une victoire démocrate propulsant Joe Biden vers la Maison Blanche.

La même logique s’applique à la place occupée par les États-Unis sur la scène internationale. Bien sûr, un président plus traditionnel ne serait pas en confrontation constante avec ses alliés comme le fait Donald Trump. Mais le puritanisme américain, lui, demeurera bien ancré chez notre voisin du sud parce que son peuple demeure convaincu d’être l’élu de son Dieu et d’avoir un lien privilégié avec lui en raison de cette croyance qu’il les aurait guidés vers cette terre promise.

Au final, l’approche de l’administration Trump, par laquelle les États-Unis interviennent seulement là où ils ont un réel intérêt plutôt que de se voir investis d’une mission à sauver le monde et répandre la bonne nouvelle partout, prendra du temps à renverser complètement, et ce, peu importe qui gouvernera les États-Unis.

La réalité est que la politique intérieure occupera une grande place dans le discours politique à court terme.

La relation personnelle entre les dirigeants demeure la clé principale

C’est bien connu en diplomatie, la relation personnelle entre deux dirigeants est souvent l’élément le plus important pour résoudre des enjeux.

L’une des principales responsabilités d’un premier ministre canadien est de développer une bonne relation avec le président américain, qui qu’il soit. Il en va de l’intérêt supérieur du Canada.

L’ex-premier ministre Jean Chrétien a obtenu de l’ex-président Bill Clinton une déclaration sur l’avenir du Québec au sein du Canada, alors que M. Clinton avait exprimé que les États-Unis préféraient un Canada fort et uni, ajoutant que les Québécois avaient le droit de choisir[4].

L’ex-premier ministre Brian Mulroney a eu d’excellentes relations avec ses vis-à-vis américains Ronald Reagan et George H. W. Bush. Cela a conduit à un traité sur les pluies acides et un accord de libre-échange[5].

En opposition, lorsque la relation entre les deux dirigeants est moins bonne, il devient plus difficile de faire avancer les dossiers compliqués. Et en termes de relations embrouillées, le président Trump en a plusieurs à travers le monde, incluant avec notre premier ministre. Cela mène à des décisions loufoques, par exemple sur des tarifs douaniers soudainement imposés par l’administration Trump ou encore des renégociations commerciales dans lesquelles le Canada perd plus qu’il ne gagne.

Ainsi, ne serait-ce que du point de vue de la relation personnelle avec le premier ministre du Canada, il est évident que l’élection de Joe Biden offrirait au moins l’opportunité de repartir sur de nouvelles bases au plus haut niveau des deux pays.

Dans ce scénario, la nouvelle vice-présidente Kamala Harris deviendrait aussi un atout potentiel, elle qui a passé une partie de sa jeunesse à Montréal. Évidemment, elle ferait toujours passer les intérêts des États-Unis en premier, mais on peut présumer que sa connaissance du Québec et du Canada serait un avantage.

Cela étant dit, M. Trudeau bénéficie de son image par rapport à celle de M. Trump et, en raison du caractère unique du président américain, les attentes sont basses quant aux résultats concrets découlant de leur relation. Si Joe Biden l’emportait, les attentes pourraient augmenter à l’égard de M. Trudeau pour la résolution de conflits et au jeu des comparaisons avec son vis-à-vis américain, il n’aurait plus le même avantage qu’auparavant. Mme Harris pourrait même lui faire un peu d’ombre. En ce moment, M. Trudeau n’a qu’à être en désaccord avec Donald Trump pour que bien des gens soient d’accords avec lui. Cette formule fonctionnerait beaucoup moins bien avec un prochain président moins polarisant que M. Trump et une vice-présidente qui attirerait l’attention des Québécois.

Qu'est-ce qu'une victoire de Joe Biden ou de Donald Trump voudra dire pour le Canada?

Commerce et protectionnisme

Victoire de Donald Trump : Après quatre années de Donald Trump, nous savons à quoi nous en tenir. C’est un président qui croit davantage dans les relations bilatérales en ce qui concerne le commerce qu’en les relations multilatérales. Son argument est légitime d’un point de vue américain et même difficile à contrer. Il est d’avis que les États-Unis peuvent utiliser tout le poids de leur puissance économique et politique dans des négociations un à un, alors que cet avantage stratégique se retrouve dilué lorsque les États-Unis entrent dans des négociations à plusieurs pays. Ainsi, M. Trump croit que les États-Unis obtiennent bien plus de leurs partenaires commerciaux de cette façon.

Son gouvernement manœuvre également pour ralentir le processus de nomination des juges de l’OMC[6], ce qui lui permet de continuer d’imposer des sanctions commerciales tout en retardant les audiences d’appels pour juger du fondement ou non de ces pénalités.

Finalement, le président Trump exerce un populisme protectionniste qui considère les intérêts des États-Unis seulement, même quand cela cause des conflits avec des alliés traditionnels. Il veut favoriser les emplois et l’achat aux États-Unis. Et si, en prime, il peut crier victoire en ayant obtenu des gains face à son partenaire, il s’en fera un grand plaisir.

Cette réalité risque de s’accélérer dans l’hypothèse où il était réélu et n’aurait maintenant plus qu’un dernier mandat pour accomplir ses objectifs et laisser une empreinte, non pas irréversible, mais suffisamment profonde pour qu’elle demeure visible longtemps.

Victoire de Joe Biden : Les relations diplomatiques avec les États-Unis seraient assurément meilleures au départ. Du moins, le contraire serait très étonnant. Le premier ministre Trudeau est plus près idéologiquement de Joe Biden qu’il ne l’est de Donald Trump, par exemple sur la lutte aux changements climatiques.

Toutefois, attention à ceux qui pourraient croire qu’une victoire de Joe Biden serait impérativement une bonne nouvelle pour l’économie canadienne. Ça pourrait bien être le contraire.

La plateforme démocrate[7] contient quelques éléments inquiétants par rapport au commerce qui laissent présager de nouvelles difficultés. D’autant plus qu’il faut savoir qu’en temps normal, les démocrates ont moins tendance à être ouverts au commerce que les républicains.

Ainsi, dans la plateforme du candidat Biden, on trouve des thèmes comme « Make Buy American Real », « Make it in America », « Innovate in America », « Invest in America », « Stand up for America », « Supply America so we aren’t depending on China » et « Expand Buy American to other form of government assistance ».

Lire de tels slogans clairement protectionnistes ne peut qu’être inquiétant pour nos exportateurs québécois et canadiens. La politique actuelle « Buy American » est déjà hyper contraignante. Or, de voir Joe Biden dire qu’il veut la rendre « réelle » est un gros feu rouge sur le tableau de bord canadien et québécois.

Je peux même vous raconter une anecdote personnelle, alors que j’étais le chef de cabinet d’un ministre fédéral des Transports et de l’Infrastructure.

Le Canada était déterminé à construire un nouveau pont entre Windsor et Détroit[8]. Le Canada allait payer la totalité des coûts de construction de ce pont. Nous avions beaucoup plus besoin de cette nouvelle infrastructure que les Américains. Le Canada voyait ce nouveau lien comme une opportunité économique, alors que les États-Unis le voyaient avant tout comme une menace supplémentaire à leur sécurité.

Malgré le fait que le Canada allait payer toute la facture, les États-Unis tentaient d’imposer leur « Buy American » qui aurait fait en sorte que les contrats publics soient octroyés obligatoirement à des entreprises américaines ! Le président américain était Barack Obama et le vice-président était Joe Biden.

Au final, les deux gouvernements ont trouvé un terrain d’entente, mais cet exemple illustre bien la perspective américaine. Ils ont le gros bout du bâton, pas nous. Avoir accès à leur marché a un prix et ils nous le font sentir régulièrement.

Or, si Joe Biden va de l’avant en donnant encore plus de mordant et d’étendue à cette approche « Buy American » comme il le répète, c’est tout sauf une bonne nouvelle pour l’économie canadienne.

En même temps, la plateforme de Joe Biden affirme que son éventuel gouvernement aurait des discussions avec ses alliés pour moderniser les règles du commerce afin de permettre d’utiliser son propre argent pour investir dans son propre pays. En d’autres mots, permettre de favoriser les entreprises locales dans des appels d’offres publics sans contrevenir aux règles du commerce international. Encore une fois, cela peut paraître attrayant en principe et à la mode avec le concept d’achat local revigoré par la pandémie.

Il s’agit peut-être toutefois d’une vision à court terme qui pourrait faire mal plus tard. Dans une réalité comme celle du Québec et du Canada, où plusieurs de nos entreprises ont un besoin fondamental d’avoir accès aux contrats étrangers pour faire travailler des gens d’ici, il y a lieu de se questionner si on gagnerait ou perdrait au change, alors que notre marché domestique de contrats gouvernementaux est infiniment plus petit que celui de plusieurs de nos partenaires commerciaux.

Un élément positif à court terme advenant l’élection de Joe Biden est qu’il affirme ne pas vouloir imposer de tarifs comme l’a fait Donald Trump sur notre acier et notre aluminium. Du moins pas ceux de Donald Trump. Demeurons sceptiques tout de même, car il s’agit d’une tactique fréquemment utilisée par les États-Unis.

Toujours en lien avec le commerce, Joe Biden souhaite ramener les États-Unis au sein de l’Accord de partenariat transpacifique. Les négociations en vue de cet accord remontaient à 2002 et le gouvernement de Stephen Harper avait accepté de le signer en pleine campagne électorale de 2015, alors que le président Obama tenait également à cet accord. La ratification s’est faite sous le gouvernement Trudeau. Le président Trump nouvellement assermenté a retiré les États-Unis de cet accord et un certain nombre de pays se sont de nouveau entendus dans un partenariat sans les Américains.

Un des objectifs stratégiques de ce partenariat était de diminuer le poids de la Chine sur l’économie de l’Asie. Si les États-Unis voulaient revenir dans cet accord, il y a fort à parier que d’autres pays du groupe original souhaiteraient revenir et que de nouveaux joueurs pourraient vouloir s’y joindre.

Même s’il y a habituellement des clauses qui prévoient des mécanismes à cet effet, il est possible qu’un tel mouvement provoque de nouvelles négociations et cela serait à suivre d’un point de vue canadien et québécois. Les États-Unis ont obtenu de grandes concessions du Canada dans l’ACEUM, mais que voudraient les autres partenaires ? Et il serait difficile politiquement pour Joe Biden de simplement revenir dans un accord tellement décrié par son prédécesseur sans obtenir quelque chose en retour. Il pourrait chercher des gains politiques et économiques, notamment au détriment du Japon. Alors si le tout revenait sur la table, le résultat final pourrait être globalement à l’avantage du Canada, mais ce n’est jamais sans risque pour certaines industries.

Relations internationales

Victoire de Donald Trump : Les États-Unis de Donald Trump ont au mieux des alliés de raison en ce moment, mais sont perçus de plus en plus comme un partenaire imprévisible sur lequel on ne peut se fier, à tout le moins au niveau de sa présidence. Ainsi, le contexte d’une réélection de Donald Trump dans une perspective canadienne irait dans une continuité où les alliances stratégiques avec les États-Unis sont plus complexes, fragiles et ponctuelles qu’à l’habitude.

Victoire de Joe Biden : Il est probable cependant qu’une victoire de Joe Biden rassure plusieurs alliés internationaux traditionnels des États-Unis, incluant le Canada. Et qu’ainsi, le potentiel d’alliances stratégiques du point de vue canadien pour influencer les politiques internationales aux côtés des États-Unis soit plus grand, et ce, même s’il est inévitable d’avoir des désaccords de temps à autres.

Les autres élections du 3 novembre

Bien que l’élection présidentielle attire le plus notre attention, il faut savoir que les Américains ont plusieurs autres choix à faire sur leur bulletin de vote et que cela aura également une influence sur les relations canado-américaines.

En effet, les 435 sièges de la Chambre des représentants sont en jeu, ainsi que 35 des 100 sièges au Sénat, en plus de 11 états[i] et 2 territoires qui éliront une ou un gouverneur. Et c’est sans compter toutes sortes d’autres élections municipales ou même, par exemple, des référendums sur des questions locales. La taille du bulletin de vote lors d’élections américaines n’a rien à voir avec ce dont nous sommes habitués chez nous !

Or, en plus de l’élection présidentielle, quelle formation politique contrôlera la Chambre des représentants et le Sénat ? De quelle couleur politique seront les nouveaux dirigeants étatiques ou municipaux ? Les résultats pourraient également influencer positivement ou négativement nos relations avec notre voisin.

Tout ceci importe pour le Canada parce que, dans ses relations aux États-Unis, il entretient des liens avec des élus et des influenceurs bien au-delà de la Maison Blanche. C’est également le cas de certaines provinces comme le Québec et l’Ontario qui sont actives dans plusieurs états américains.

Un président américain, bien que très puissant étant donné le pays qu’il dirige et son unique capacité à mobiliser l’ensemble de l’appareil administratif américain, doit néanmoins faire face à beaucoup plus de contrepoids que son vis-à-vis canadien.

Autrement dit, le pouvoir politique aux États-Unis est plus diffus que chez nous. Et peu importe qui remportera l’élection présidentielle du 3 novembre, il y aura des opportunités et des menaces pour le Canada à l’intérieur même de ces contrepoids.

Il reviendra au gouvernement Trudeau de faire preuve de finesse et de continuer de mettre en œuvre tous les efforts possibles à différents niveaux pour améliorer les possibilités que l’éléphant se lève du bon pied plus souvent qu’autrement.

[i] Delaware, Indiana, Missouri, Montana, New Hampshire, Caroline du Nord, Dakota du Nord, Utah, Vermont, Virginie occidentale

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